La tradition des sorcières de Pâques

La tradition pascale finlandaise mêle religion et paganisme : attention à la visite des petites sorcières !

En Finlande, la fête de Pâques mêle références à la religion et coutumes en rapport avec l’arrivée du printemps tant attendu par les Finlandais au cours des longs mois de l’hiver nordique. Si l’on sonne à votre porte le dimanche précédant Pâques, il est très possible que vous vous retrouviez nez à nez avec de sympathiques petites sorcières qui vous proposeront de bénir votre domicile en échange de quelques sucreries.

Parmi toutes les traditions populaires finlandaises, l’une des plus vivaces consiste en ce que les enfants, surtout les petites filles, se déguisent en sorcières de Pâques ; pour ce faire, elles enfilent de vieilles frusques de toutes les couleurs et se peinturlurent des taches de rousseur sur le visage. « Ensuite, les petites sorcières vont faire du porte-à-porte avec des rameaux de saule décorés de plumes et de motifs de papier crépon multicolores supposés éloigner les mauvais esprits ; chaque fois que quelqu’un ouvre sa porte, les sorcières lui récitent leur formule magique en échange de friandises », explique Reeli Karimäki, une folkloriste spécialisée en traditions et cultures enfantines travaillant au Pessi Children’s Art Centre à Vantaa, en banlieue nord d’Helsinki.

Comme beaucoup de Finlandais, Karimäki tient à portée de main dans l’entrée de son appartement un panier d’œufs de Pâques en chocolat qui lui permettront d’acquitter son dû aux petites sorcières itinérantes. D’autres familles réservent des bonbons ou même quelques pièces de monnaie à leurs visiteuses, mais il existe aussi des gens qui préfèrent garder leur porte obstinément close lorsque résonnent les coups de sonnette fatidiques.

Entre traditions russe et occidentale

3987-easter_willow-catkins_flickr_cc-by-nc-nd-2_0_villemisaki_550px-jpg

Les petites filles coupent et décorent des rameaux de saule comme celui-ci pour les offrir aux habitants des maisons où elles passeront, grimées en sorcières.Photo: VilleMisaki/flickr, cc by-nc-nd 2.0

Une fois sur le pas de la porte, les sorcières prononcent une formule traditionnelle en vers qui dit ceci en finnois : « Virvon, varvon, tuoreeks terveeks, tulevaks vuodeks ; vitsa sulle, palkka mulle ! » (« J’agite mon rameau ici, je l’agite là : santé et bonheur sur toi pour l’année qui vient ! A toi ce rameau, à moi un cadeau ! »)

« Il est intéressant de noter que cette coutume enfantine finlandaise mêle deux traditions très anciennes : d’une part un rite orthodoxe aujourd’hui encore en usage en Russie, où des faisceaux de bouleau remplacent les rameaux de palmier qu’agitait le peuple de Jérusalem pour accueillir Jésus à l’occasion de ce qui est devenu depuis le dimanche des Rameaux, et d’autre part une tradition suédoise et de Finlande occidentale où le rôle des enfants revenait à tourner en dérision les craintes ancestrales de voir les vraies « méchantes » sorcières prendre le pouvoir le samedi saint », précise encore Karimäki.

Aujourd’hui, les sorcières de Pâques sont à l’œuvre le samedi saint plutôt en Finlande occidentale, tandis que dans les autres régions c’est le dimanche des Rameaux qu’elles sont de sortie.

Karimäki ajoute qu’à l’approche de Pâques, les enfants finlandais ont pour habitude de planter des graines d’herbe à chat dans de la terre disposée dans des assiettes creuses et de mettre des faisceaux de bouleau à tremper dans des vases, attendant impatiemment de les voir reverdir tandis qu’éclatent les premiers bourgeons en « oreilles de souris », tout ceci symbolisant la montée en puissance d’une vie nouvelle lié rendue possible par le printemps. Quant aux œufs et aux lapins de Pâques, deux symboles anciens de fertilité dans la tradition chrétienne, ils ont eux aussi largement leur place en Finlande, même s’il s’agit là d’apports culturels plus récents.

La cuisine de Pâques en Finlande

3987-easter-pasha_visitfinland_550px-jpg

Le « pasha » est une sorte de pudding de couleur crème, parfois confectionné dans un moule à motifs religieux.Photo: Visit Finland

Dans les foyers finlandais, le plat principal le plus habituel au dîner du dimanche de Pâques est le rôti d’agneau, mais deux desserts plus typiques sont également servis en cette saison : le mämmi et le pasha. Le mämmi est une sorte de pudding à l’apparence foncée et semi-liquide préparé à partir de malt et de farine de seigle.

Il était autrefois d’usage de servir le mämmi sur un plateau en écorce de bouleau ; aujourd’hui, on peut acheter ce dessert dans n’importe quel magasin d’alimentation du pays, où on le trouve conditionné en emballage en carton.

« Même si le mämmi n’a pas une apparence très appétissante, le goût est excellent et les enfants en raffolent, et ce d’autant plus s’il est servi nappé de crème et de sucre », commente Karimäki.

Quant au pasha, c’est un dessert de couleur crème à base de fromage frais maison sucré, d’œufs, de crème et d’autres ingrédients qu’on laisse refroidir une nuit entière jusqu’à obtention d’une consistance relativement solide ; d’habitude, on se sert pour la confection du pasha d’un moule décoré de motifs religieux, la tradition consistant à faire honneur à ce dessert restant très vivace en particulier en Finlande orientale, historiquement plus marquée par l’influence de la religion orthodoxe que le reste de la Finlande.

Pâques est la fête religieuse la plus importante de l’année pour la communauté orthodoxe de Finlande, évaluée à environ 1% de la population, mais c’est aussi un temps de solennité particulière pour les pratiquants de l’Eglise évangélique-luthérienne de Finlande, majoritaire dans le pays avec ses 3,5 millions de membres et quelque.

Passions, oratorios et bûchers

« Le culte qui a lieu le soir du Jeudi saint en commémoration de la Cène reste aujourd’hui encore l’un des événements religieux les plus marquants de l’année », nous dit Iiris Kivimäki du service de presse de l’Eglise luthérienne de Finlande. « Au cours de la Semaine sainte, des concerts ont lieu dans de nombreuses églises de Finlande autour notamment des oratorios de Pâques de Jean-Sébastien Bach. »

3987-easter_bonfire_pohjamaa_flickr_cc-by-nc-nd-2_0_samikki_550px-jpg

Dans de nombreux villages de Finlande de l’Ouest, on allume aujourd’hui encore le soir du samedi saint des bûchers destinés à éloigner les mauvais esprits.Photo: samikki/flickr, cc by-nc-nd 2.0

Ces dernières années, les passions et processions pascales ont rencontré en Finlande un succès croissant auprès des fidèles : « A Helsinki, le chemin de croix connu sous son nom latin Via Crucis et dont la dernière station se situe à la Cathédrale luthérienne de la place du Sénat, se perpétue chaque Vendredi saint ; cette commémoration des épisodes qui menèrent à la crucifixion de Jésus attire d’année en année pas moins de 15.000 spectateurs », ajoute Kivimäki.

Dans de nombreux villages de Finlande occidentale, des bûchers continuent par ailleurs d’être allumés le soir du Samedi saint afin de chasser les mauvais esprits, tandis que des offices religieux très fréquentés sont célébrés dans tout le pays dans l’attente de l’annonce de la Résurrection.

Pâques correspond en Finlande à une série de quatre jours fériés consécutifs à compter du Vendredi saint compris. C’est aussi à ce moment de l’année que les Finlandais commencent à chercher dans la nature les premiers signes du printemps ; si l’hiver se livre alors à une ultime offensive, il leur reste à se calfeutrer chez eux en attendant que les dernières chutes de neige veuillent bien céder la place à un temps plus clément.

Par Fran Weaver